26 Juin 2020

[Biodiversité] Un radar pour voir à travers les feuilles

Pour observer au mieux la biomasse contenue dans les forêts tropicales, le satellite européen Biomass utilisera un radar imageur unique au monde qui fonctionnera en bande P, c’est-à-dire avec des ondes de grandes longueurs. Il pourra ainsi percer le feuillage. Mais comment un radar peut-il voir, qui plus est à travers la forêt ? Explications.

Le satellite européen Biomass doit décoller depuis la Guyane française à bord d’un lanceur Vega en 2022. Sa mission : quantifier la biomasse végétale (la quantité de végétation, mesurée en tonnes par hectare) contenue dans les forêts tropicales à l’aide d’un radar imageur. Mais comment un radar peut-il « voir » ?

Un radar imageur envoie une onde électromagnétique en direction de la zone qu’il veut observer. Cette onde, en interagissant avec le milieu naturel, est ensuite diffusée dans toutes les directions. Seule une partie de l’énergie de cette onde, plus ou moins importante selon la structure de la zone observée, revient donc vers le radar. En captant le signal reçu en retour, le radar mesure son intensité, mais également le temps mis pour faire le trajet aller-retour. Il obtient alors une information sur la nature de l’objet observé et sa distance.

Une image radar doit donc être traitée, interprétée, contrairement à une image optique que notre cerveau comprend instantanément

Par exemple, la réflexion de l’onde sur une surface rugueuse (une forêt par exemple) se fera dans toutes les directions, alors que l’onde « rebondira » dans une seule direction sur une surface lisse. Dans ce cas, le signal reçu en retour par le radar sera beaucoup plus faible, voire inexistant (voir ci-dessous). Ainsi, sur une image radar, un plan d’eau calme apparaîtra noir (peu d’énergie reçue en retour), alors que la végétation apparaîtra dans des nuances de gris clair (énergie rétrodiffusée plus importante).  « Une image radar doit donc être traitée, interprétée, contrairement à une image optique que notre cerveau comprend instantanément » précise Thierry Koleck, expert traitement radar au CNES.

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L'intensité du signal reçu en retour par le radar renseigne sur la nature de l'objet observé. Car chaque objet interagit différemment avec l'onde électromagnétique envoyée par le radar. Crédits : R. Marthos / SapienSapienS

Tout est dans la longueur, d'onde

Les ondes électromagnétiques se caractérisent par leur fréquence ou leur longueur d’onde. Ces 2 valeurs sont liées : plus la longueur d’onde est grande, plus la fréquence est basse. Les ondes visibles par notre œil ont des longueurs comprises entre 400 et 800 nm, et donc des fréquences très hautes, entre 375 000 et 750 000 Ghz. Les radars imageurs actuels utilisent des ondes dont la fréquence est beaucoup plus basse, entre 9 Ghz et jusqu’à 1,5 Ghz. Le choix précis de l’onde dépend ensuite de l’objectif de la mission.

Plus la longueur d’onde est grande, plus l’antenne doit l’être aussi

Biomass fonctionnera sur une fréquence beaucoup plus basse, soit 0,435 Ghz pour une longueur d’onde correspondante de 70 cm (fréquence appelée « bande P »). A cette fréquence, l’onde pourra pénétrer au travers du feuillage des forêts et « voir » ce qu’il y a en-dessous : les grosses branches, les troncs, le sol, en clair, là où se loge la biomasse. « Il faut savoir que une onde électromagnétique n’interagit qu’avec les objets de même taille que sa longueur d’onde. Ainsi, avec une longueur d’onde de 70 cm, on "verra" tous les objets de 70 cm et plus. Mais pas les plus petits, comme les feuilles ! » Les ondes de Biomass passeront donc « à travers » le feuillage.

Biomass sera le 1er satellite au monde à fonctionner à une aussi basse fréquence. Une prouesse technologie au regard de la taille de l’antenne que le radar devra déployer : 12 m de diamètre, 115 m2 de surface. « Plus la longueur d’onde est grande, plus l’antenne doit l’être aussi, » sourit Thierry Koleck. Elle sera donc repliée dans la coiffe de la fusée au moment du lancement, et se dépliera dans l’espace tel un parapluie géant, pour prendre la forme d’une parabole quasi parfaite.

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Plus la longueur d'onde de l'onde est importante est plus sa fréquence est basse. Biomass fonctionne sur une fréquence de 0,435 Ghz pour une longueur d’onde de 70 cm. Crédits : R. Marthos / SapienSapienS

Une antenne artificielle

Biomass est un radar à synthèse d’ouverture (RSO ou SAR pour Synthetic Aperture Radar en anglais), comme tous les radars imageurs. C’est-à-dire que les données acquises par le satellite seront traitées « informatiquement » pour pouvoir créer des images. Sans cette technique de traitement du signal, pour obtenir une image avec une résolution de 12 m, il faudrait une antenne de 70 km de diamètre ! Impossible techniquement. La technique de synthèse d’ouverture recrée donc artificiellement cette antenne. Biomass, sans synthèse d’ouverture, produirait des images dont la résolution ne serait que de 70 km. Pas très précis. Avec, la résolution des images du satellite européen sera de 12 m.

Radar ou optique ?

Les régions tropicales sous quasiment constamment recouvertes par des nuages. Les satellites optiques sont alors difficilement utilisables, surtout durant les saisons humides. Par leur fonctionnement, les radars sont particulièrement peu sensibles aux nuages, ceux-ci étant transparents aux ondes électromagnétiques utilisées. L’onde passe « au travers » ! Le radar peut ainsi prendre des images fréquemment et régulièrement, sans être gêné par les conditions météo ou la nuit.

Avec Biomass, les scientifiques vont pouvoir quantifier la biomasse des forêts tropicales de la planète tous les 6 mois, et en suivre l’évolution dans le temps. C’est un paramètre très important pour le suivi de la biodiversité et l’étude du climat.

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Des bancs de vase en Guyane. Image prise par un radar à synthèse d'ouverture. Crédits : Onera

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Thierry Koleck, "radariste" du CNES

Les radaristes du CNES

« Entre-nous, on s’appelle les radaristes ! » sourit Thierry Koleck, expert traitement radar au CNES. Environ 25 personnes travaillent sur les technologies radar, qu’elles concernent l’instrumentation ou le traitement du signal.

« Le CNES est leader dans le domaine de l’altimétrie radar. Il ne s’agit pas là de faire des images mais de mesurer des hauteurs, avec une extrême précision. Nous travaillons toutefois de plus en plus sur l’imagerie radar, qui connaît des besoins croissants, que ce soit dans le domaine civil ou militaire. »

Fréquence libérée

En 2003, l’Union Internationale des Télécommunications, qui gère l’attribution des fréquences au niveau mondial, a décidé « d’ouvrir » la bande P (435 MHz) à l’observation spatiale. A la condition toutefois qu’elle n’interfère pas avec les activités prioritaires sur cette fréquence : les radars de détection de missiles nucléaires, composants clé de la défense américaine et de l’OTAN !

Ceux-ci sont implantés en Amérique du Nord et Centrale, et en Europe. Des zones que Biomass ne pourra donc pas surveiller. « Les grandes forêts tropicales se situent au niveau des tropiques, en Amazonie, dans le bassin du Congo ou en Asie du Sud..., rappelle Thierry Koleck. Cela n’est donc pas gênant pour la mission. Pendant le développement de la mission toutefois, nous avons appris que les Etats-Unis avaient vendu un de ces radars à Taïwan ! Nous avons dû lancer des études en urgence pour déterminer quelle surface de forêt Biomass allait échapper à la surveillance, du fait de l’implantation de ce radar militaire dans cette région. »

Et cela ne correspond finalement qu’à 1 % des forêts que les scientifiques souhaitent étudier qui ne pourront pas être scrutées par le satellite européen.

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A lire, CNESMAG n°84

Pour prolonger la thématique, vous pouvez lire en ligne gratuitement, le nouveau  CNESMAG. Au sommaire de ce numéro 84 : « Biodiversité : le temps de la résilience ». Vous y comprendrez comment la communauté spatiale se mobilise pour documenter, cartographier et observer la biodiversité, partout sur le globe. Parce que le temps de l'alerte a cédé la place à celui de l'action, le CNES se mobilise aujourd'hui pour accompagner la résilence des territoires.